CHAPITRE XVIII
CLERICALISME , LIBRE-PENSEE ET
ANTICLERICALISME
C'est en ce début de vingtiÈme siÈcle que la structuration la
plus complÈte de l'anticléricalisme s'accomplit . En 1901 est crée l'Association
Nationale des Libres Penseurs de France . La Libre-Pensée est présente à Somain
avec la ligue républicaine constituée illégalement en 1884 . Les premiÈres
manifestations anticléricales entraînent la morgue du curé de Somain . Mais il
ne s'agit pas encore d'un anticléricalisme de combat . A travers les évÈnements
de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat , la municipalité somainoise , au gré
des majorités ( qu'elles soient libérales ou radicales ) n'exerce qu'une espÈce
d'anticléricalisme latent , qui n'ose pas dire son nom . En 1912 , les choses
prennent un tour plus net avec l'arrivée au pouvoir dans la localité des
socialistes .
A - 1900 - 1912 : UN ANTICLERICALISME LATENT
1 - Le parti clérical
a - un prêtre qui prend parti
On le
sait , l'abbé Buzin n'est pas neutre politiquement . Il ne peut rester muet
quand interviennent les élections . De cette façon , il fait montre d'un
cléricalisme offensif tendant à sauvegarder les intérêts de l'Eglise .
Ainsi , le prêtre somainois invite le 28 juillet 1901 les "braves électeurs" à
aller déposer leur bulletin dans l'urne à l'issue de l'installation du chapelain
de la Renaissance L'abbé Mocq , qui a lieu le même jour . Mais le résultat de ce
scrutin d'arrondissement ne semble guÈre le satisfaire :"Hier , on avait devancé
et hâté la cérémonie parce qu'en pleine effervescence électorale , les braves
électeurs allaient avec confiance déposer leur bulletin aprÈs la cérémonie ;
mais , hélas ! au soir , les braves gens apprenaient que le triste Duflot
triomphait à soixante-cinq voix de majorité ! Un conseiller d'arrondissement est
peu de chose ; mais triste présage pour les élections législatives de
1902" . Effectivement , les candidats libéraux ne semblent pas plus
heureux en 1902 . Quant à l'Eglise , elle s'implique de plus en plus dans les
élections et ne cache pas ses favoris . En effet , elle craint que sa position
s'affaiblisse si les radicaux l'emportent . Aussi elle invite les paroissiens à
venir prier dans la semaine qui précÈde les élections :"La situation critique de
la France a suscité partout des priÈres . Monseigneur avait conseillé une
journée d'Adoration . Avec la permission de M. Villette , vicaire général , nous
avons plut"t exposé le Saint-Sacrement et chanté le salut le soir pendant toute
la semaine qui précéda les élections" . Les résultats confirment la divine
inquiétude du curé de Somain qui se lamente de l'arrivée au pouvoir du trÈs
anticlérical Combes :"Si les élections ont été mauvaises , et si le ministÈre
Waldeck est remplacé par le ministÈre de l'ex-ensoutané Combes , c'est qu'on n'a
pas assez crié : Miséricorde Seigneur !" .
b - le prêtre et
l'anticléricalisme somainois
Le vice-doyen de Somain reste combatif malgré
son grand-âge . Devant l'aggravation de la situation religieuse , il essaie de
prendre des initiatives pour sauvegarder le caractÈre chrétien de sa paroisse
:"La situation particuliÈre du pays , les calamités redoutées me firent prendre
la résolution d'entreprendre une visite générale pour constater la disposition
des esprits et ramener les hommes aux saluts de carême et au devoir pascal"
.
Mais son appel reste peu entendu par une bonne partie de la population qui
déserte les pratiques et qui est de plus en plus attirée par les arguments des
anticléricaux .
Les élections de 1902 les ayant , semble-t-il , conforté ,
les radicaux somainois votent à la majorité quasi-absolue le départ des
religieuses de la Renaissance . L'abbé Buzin rentre dans une colÈre noire
lorsqu'il apprend le vote défavorable des conseillers municipaux :"Je ne pouvais
pas croire à une pareille ingratitude de la part des élus de Somain . J'y
croyais d'autant moins qu'avant les élections la majorité du conseil avait donné
un vote favorable aux sœurs du chef-lieu de la commune et aux religieuses
augustines de l'Institut Ophtalmique" . Les radicaux , en se débarrassant des
sœurs , espÈrent ainsi abaisser l'influence cléricale sur les mineurs .
Quant
au curé , il fait appel aux sentiments chrétiens des paroissiens afin qu'ils
réagissent contre les attaques anticléricales . Devant l'atermoiement de
certains qui craignent l'interdiction des processions , l'abbé Buzin se montre
plus combatif que jamais : il veut que les processions soient plus belles et
plus édifiantes .
Mais la propagande anticléricale , comme le prouve la
domination des radicaux aux élections du début du siÈcle , touche résolument les
habitants qui sont de plus en plus hostiles voire indifférents vis-à-vis de la
religion .
2 - Un premier accroc dans la cohabitation : la manifestation de
1906 .
a - une hostilité plus affirmée
Si la municipalité ne s'est pas
franchement montrée trop anticléricale depuis le début du siÈcle c'est que les
libéraux , assez nombreux au sein du conseil municipal , peuvent faire obstacle
. Aussi les processions sont tolérées .
Cependant , la libre-pensée
somainoise développe peu à peu son audience et notamment auprÈs des catégories
ouvriÈres . La lecture dans les cabarets des journaux de gauche comme le Réveil
du Nord ou le ProgrÈs du Nord entame définitivement le fond de foi qui
subsistait . Les attaques contre les prêtres y sont légions . L'abbé Buzin est
lui-aussi au centre de l'actualité en 1902 dans les deux quotidiens
.
Les noms de rues considérés trop religieux cÈdent la place à d'autres
intitulés plus en rapport avec les orientations politiques de la municipalité
somainoise .
La séparation de l'Eglise et de l'Etat précipite le
conflit sur le plan local . L'anticléricalisme se fait plus manifeste . Le
problÈme crée par l'aliénation du presbytÈre montre à quel point les
anticléricaux tiennent à faire piÈce au curé . Cependant , la majorité du
conseil est désormais libérale et soutient le trÈs catholique docteur Dransart
contre l'administration municipale .
b - le congrÈs eucharistique de
1906
Un congrÈs eucharistique se tient à l'église de Somain en
septembre 1906 . On pense organiser une procession pour clôturer la
manifestation qui réunit les paroissiens de seize communes environnantes qui
toutes ont été unanimes à envoyer leur adhésion .
Mais la société locale de
Libre-Pensée fait appel aux sociétés similaires de l'arrondissement pour
parcourir la localité à la même heure que la procession cléricale . Face à cette
situation qui peut tourner au vinaigre , le maire Pennequin préfère interdire
les manifestations en produisant un arrêté . Mais cette mesure embarrasse le
vice-doyen de Somain :"N'en pas tenir compte eut été imprudent , exposer le
Saint-Sacrement aux outrages d'une poignée de misérables qui avaient forcé ce
pauvre Pennequin à prendre cette mesure me frappait comme un coup de poignard" .
L'abbé Buzin essaie de fléchir la décision du maire qui , visiblement
ennuyé , lui fait de vagues promesses ... qui n'aboutissent pas . Pour protester
, le curé fait circuler un message o- il dénonce le fait que la procession soit
interdite alors qu'une autorisation préalable avait été donnée . Quant à
la majorité du conseil municipal , conduite par le docteur Dransart , elle signe
une protestation qui rappelle une résolution prise en conseil comme quoi on
décidait de tolérer les manifestations de tous les partis .
La population
tranquille de Somain semble approuver le maire qui a tenu à dégager sa
responsabilité . Le jour de la procession les ouvriers-verriers d'Aniche , dont
on connaÎt l'esprit turbulent et anticlérical , arrivent à Somain en début
d'aprÈs-midi et attendent à proximité de l'église une éventuelle sortie des
catholiques . A l'intérieur de l'édifice , les catholiques se sont nourries de
l'eucharistie et chantent les vêpres . AprÈs la bénédiction , le pÈre Jubaru
monte en chaire , le chapeau sous le bras , et dit :"La cérémonie religieuse est
terminée ; mais l'arrêté municipal qui interdit la procession ne peut empêcher
tout citoyen de se promener dans la rue . En vertu de cette liberté , je vais
pour ma part accomplir un pieux pÈlerinage en faisant le même parcours que
devait suivre la procession . Tout le monde peut faire comme moi" . Les
paroissiens ne se font pas prier . Un cortÈge de cent hommes et cent femmes
environ ayant à leur tête une douzaine de prêtres et des personnalités ( comme
le docteur Dransart ) , sort de l'église et parcourt les rues en chantant des
cantiques . Les catholiques narguent même les contre-manifestants en entonnant
"Catholiques et Français" sur l'air de l'Internationale . La vingtaine de
libre-penseurs , banniÈre en tête , suit la procession catholique en chantant
l'Internationale . Inévitablement , une bagarre intervient ; la banniÈre de la
libre-pensée en fait les frais : elle est arrachée des mains du porteur par le
curé Bailleul . Personne n'est sérieusement blessé ( le vicaire Lethoor a l'œil
au beurre noir ) . Le garde-champêtre Roussel dresse trois procÈs-verbaux : un
au curé Bailleul pour outrages à agent dans l'exercice de ses fonctions , un au
curé de Somain et un au président de la Libre-Pensée pour infraction à arrêté
municipal .
La procession aboutit à l'Institut Ophtalmique : à l'invitation
du docteur Dransart , tout le monde s'y engouffre pour la présentation du
Saint-Sacrement .
Cette journée est un nouvel accroc entre cléricaux et
anticléricaux qui n'hésitent plus à en venir aux mains . La libre-pensée
accentue au fil des années son action anticlérical .
3 - La libre-pensée sur le devant de la scÈne
La libre-pensée
se montre de plus en plus présente sur le devant de la scÈne . En 1908 , un
conseiller municipal , le sieur Gahide propose de remplacer les processions par
des fêtes profanes telles qu'un carnaval d'été . Mais cette proposition trÈs
anticléricale est rejetée par la majorité du conseil par onze voix contre quatre
et une abstention . En effet , la plupart du temps , la municipalité
joue l'apaisement . Les processions sont toujours autorisées . Néanmoins , le
maire Pennnequin demeure un farouche opposant du curé .
La libre-pensée
organise des manifestations anti religieuses . Outre les baptêmes et autres
mariages civils encore relativement rares , la principale manifestation de
l'organisation somainoise réside dans l'enterrement civil , solennel ,
volontaire et solidaire , aux frais de la société . La libre-pensée locale pense
donner plus d'éclat aux enterrements civils en les annonçant au son des cloches
en 1909 . Mais il n'est pas question pour elle d'utiliser une cloche baptisée .
Aussi , elle demande à la municipalité le prêt ponctuel de la sonnette à main
qui sert au garde pour faire ses publications en ville . Le maire ne voit pas
d'inconvénient à ce que la demande formulée soit accordée :"AprÈs tout , dit-il
, la rue est à tout le monde" . Cette derniÈre affaire met en rage les
catholiques qui répondent crûment à l'acceptation du maire dans Le Régional du
25 juillet 1909 :"Nous sommes heureux d'avoir entendu , dans la bouche du
premier magistrat de la commune , ces paroles qui sont pourtant en contradiction
si flagrante avec sa maniÈre d'agir . La rue doit être à tout le monde ! Mais
alors , pourquoi la refusez-vous à la société de musique "Les Amis Réunis" qui
jouit de l'estime publique , qui serait bien accueillie si vous la laissiez
sortir et qui ne commettrait pas plus de mal que ceux qui vont la parcourir en
agitant une sonnette pour annoncer les enterrements civils ? Il y a donc deux
poids et deux mesures dans votre administration : vous venez de le prouver une
fois de plus" .
Il semble bien , en effet , que le réflexe anticléricale de
la municipalité revienne à l'ordre du jour . Le clergé devient la cible patentée
des attaques des anticléricaux . Un incident somme toute minime permet au maire
de prendre à défaut le clergé local . A l'occasion de la Toussaint , un vicaire
de la paroisse se rend au cimetiÈre pour faire une priÈre publique . Mais le
rapport du garde est d'un tout autre avis : le vicaire aurait fait une
conférence publique . Le Régional , "organe de la paroisse" , conteste ce
jugement :"Vous n'auriez jamais cru qu'en vous exhortant à prier pour vos morts
, sur la tombe desquels vous veniez d'apporter un souvenir , le prêtre qui vous
adressait la parole , vous faisait une conférence publique" . Quoi qu'il en soit
, l'occasion est trop bonne . Le conseiller Richez demande qu'il soit interdit
au prêtre de se rendre au cimetiÈre le jour de la Toussaint :"Le cimetiÈre ,
a-t-il dit , est un lieu de repos et de paix qui ne doit être troublée par
aucune manifestation ... Si le curé continue à y aller , les libres-penseurs
iront aussi et si une bagarre se produit , s'il y a des dégâts , ce sera la
commune qui sera responsable" . En conséquence , le conseil décide de ne plus
autoriser le prêtre à aller au cimetiÈre hormis les jours d'enterrements !
Le décÈs de l'abbé Buzin prive la cause catholique de son plus fervent
supporter . Désormais , avec un nouveau prêtre qui s'efforce de ne pas se mêler
du jeu politique , l'administration municipale a les coudées plus franches et
prend des décisions plus radicales encore . DÈs 1910 , le maire Pennequin
interdit les processions pour punir les libéraux somainois qui ont appelé à
voter pour un collectiviste et donc contre lui pour le compte du second tour des
élections au conseil général .
En 1912 , la population somainoise est appelée
aux urnes pour des élections municipales décisives qui voit la victoire de la
liste socialiste conduite par Victor Brachelet . Cette élection favorise une
nouvelle offensive anti-chrétienne .
B - 1912 - 1914 : UN ANTICLERICALISME VIRULENT
1 - Une municipalité de combat
a - l'interdiction de
processionner en ville
Le nouveau maire socialiste répond de suite aux
aspirations anticléricales de son parti en interdisant la tenue en ville des
manifestations religieuses . Le Régional ne tarde pas à dénoncer la décision
"arbitraire" de l'administration municipale :"Par suite du sectarisme de M. le
maire qui , partisan de la liberté pour les siens , la refuse aux autres , la
premiÈre procession de la Fête-Dieu aura lieu dans l'église à l'issue de la
messe de dix heures" . Les processions se replient dans l'église . Mais la
relative exiguïté des lieux gÈne le déroulement du cortÈge :"Le cortÈge à peine
à se dérouler entre les rangs pressés des fidÈles et de plus , il est si long
que les deux extrémités se rejoignent . AprÈs semblable manifestation , on se
sent plus fier d'être catholique et l'on sourit de pitié en songeant qu'il en
est qui proclame que l'Eglise est morte" .
Mais une procession
extérieure subsiste et se tient sur le territoire de Villers-Campeau : elle
réunit les paroisses de Somain , De Sessevalle , la Renaissance , Bruille ,
Rieulay et Erre .
b - la création d'"En Avant"
La propagande cléricale est
fortement présente dans la cité par le biais de l'hebdomadaire "Le Régional" qui
est véritablement l'organe de la paroisse . Le nouveau maire Brachelet réfléchit
à une alternative . La création de l'hebdomadaire "En Avant" répond à ses
espérances : organe de la défense ouvriÈre , ce journal parait dÈs juin
1913 .
L'existence de deux parutions concurrentes de mouvances opposées
précipite une "guerre" des communiqués . La virulence des attaques et des
réponses entretient le climat détestable de la vie politique et religieuse à
Somain .
2 - Anticléricalisme et Cléricalisme : le r"le de la presse
Le
tac-au-tac est le principe des deux publications : lorsqu'un des deux
hebdomadaires fait l'éloge d'un de ses partisans , l'autre s'emploie
immédiatement à détruire une vision aussi idyllique .
a - l'abbé
Mocq
L'abbé Mocq , chapelain de la Renaissance ( 1901 - 1937 ) , est le
premier à être l'objet des manifestations de ce "jeu" . En juin 1913 , Le
Régional annonce le prochain jubilé du chapelain . Selon lui , les habitants du
hameau rivalisent de zÈle pour orner l'église et les maisons "au milieu
desquelles se dévoue depuis longtemps leur zélé pasteur" . Les habitants se
déplacent en nombre pour fêter leur pasteur . A onze heures , un groupe d'hommes
et de jeunes gens vient offrir au jubilaire la chasuble , les burettes et le
voile de bénédiction , produit de la souscription faite chez tous les
paroissiens . La foule s'entasse dans la petite chapelle où l'abbé Mocq est
assisté par le curé d'Auchy-les-Orchies qui a su discerner sa vocation . Le
chanoine Daucy , Doyen de Sainte-Catherine à Lille fait l'éloge du curé de la
Renaissance . Puis l'abbé Mocq exprime son envie de demeurer toujours à la
Renaissance :"Mes chers amis , merci ; puisse Dieu , que je vais prier pour vous
tous en remontant à l'autel , exaucer le désir que je formule , qui est celui de
me consacrer à vous toute ma vie" .
En Avant , qui vient juste de
naÎtre , ne peut laisser passer une pareille occasion et produit son premier
papier anticlérical le 20 juillet 1913 : il y dénonce l'attitude du chapelain
Mocq envers un de ses paroissiens ; le titre est déjà tout un programme :"Un
curé qui s'emballe" . Le mineur Deregnaucourt a une petite fille qui fréquente
le catéchisme . Mais le courant ne passe pas entre les parents et le chapelain .
Les époux Deregnaucourt veulent faire faire rapidement la communion à leur fille
. Aussi , il préfère se rendre à Saint-Jacques de Douai qui leurs semblent plus
hospitalier . Le Doyen de Saint-Jacques accepte apparemment de faire la
communion à la jeune fille sans demander aucun justificatif . Mais le chapelain
apprend l'affaire et convoque les parents pour les sermonner . En Avant dénonce
cyniquement "la grande charité chrétienne qui ne tolÈre pas facilement
l'indépendance" . Cette affaire , si minime soit-elle , permet à l'hebdomadaire
socialiste de dénoncer quelques griefs qui lui tiennent à cœur . L'article
conclue en guise d'ultime propagande :"On nous a affirmé que déjà monsieur le
curé avait demandé de faire déménager Deregnaucourt . Il se serait attiré de la
part d'un haut personnage des mines :"Si je vous écoutais , je devrais mettre
tous mes bons ouvriers à la porte" . Ceci pour vous démontrer ce qu'ont pu faire
les prêtres quand ils détenaient le pouvoir et ce qu'ils feraient demain si
malheureusement ils y revenaient" .
b - la mission de 1913
La mission
prêchée en décembre 1913 suscite de vifs débats "journalistiques" et polémiques
entre les deux hebdomadaires . Les libres-penseurs socialistes sont déterminés à
contrer l'effet de la mission . Une affiche "rouge" publiée par En Avant est
posée sur tous les murs de la ville . Les missionnaires sont accusés de tous les
maux : "ils déblatÈrent la Libre-Pensée , le Socialisme et tous les journaux
d'avant-garde" ; l'affiche accuse les missionnaires d'être venus faire de la
politique , d'être des agents du capitalisme à la solde des patrons . Elle
rappelle les crimes et les guerres de religion :"Vous fûtes odieux dans votre
cruauté , vous , les exécuteurs serviles de tous les trônes , de tous les
empereurs , de tous les rois ... On brûlait vifs les hérétiques aprÈs leur avoir
arraché la langue , on leur passait un fer rouge dans les yeux" .
Mais
les affiches sont toutes arrachées par les bataillons catholiques . Le lendemain
, la libre-pensée placarde de nouvelles affiches . Le Régional répond dans le
même ton :"Il faut vraiment qu'elle ( la mission ) ait produit des résultats
probants , concluants , qui ont effarouché le clan libre-penseur somainois ,
pour déchaÎner une telle rage et un tel débordement d'injures . Les murs de la
ville ne leur suffisent plus pour y étaler leurs grossiÈretés , voilà qu'ils
épandent leur boue dans le réceptacle hebdomadaire de toutes les saletés
..." . L'hebdomadaire catholique s'emploie à dénouer toutes les
accusations proférées dans l'affiche . Ainsi , il dénonce l'exploitation
systématique du terme "religion d'argent" qui est , selon lui , erroné : les
paroissiens auraient été seulement invités à déposer leur obole à l'occasion des
scapulaires . Puis il défend l'honneur des missionnaires "qui gardÈrent le plus
grand tact" . Quant aux attaques sur les atrocités commises par la religion , la
publication catholique parle de "vieilles rengaines anticléricales qui peuvent
encore , à la rigueur , émouvoir quelques illettrés , mais qui font hausser les
épaules de pitié à ceux qui connaissent leur histoire" .
c - une conférence
contradictoire
La libre-pensée veut profiter du passage des missionnaires
pour organiser une conférence contradictoire . Le 20 décembre 1913 , elle invite
les missionnaires à participer à un débat avec Sébastien Faure sur "l'existence
ou l'inexistence de Dieu" . Mais les missionnaires ne se présentent pas . En
Avant dit qu'ils "étaient retenus par la confession et la ... frousse , ils ne
pouvaient pas se résoudre à la fessée morale qui les attendait" . Cependant , un
jeune prêtre , l'abbé Flament se risque à la contradiction . Bien évidemment ,
les deux journaux diffÈrent dans le compte-rendu de la conférence .
Le climat
reste détestable jusqu'à la déclaration de guerre . Le 4 avril 1914 , une
nouvelle conférence anticléricale est donnée sous les auspices de la
libre-pensée socialiste entre l'ex-abbé Jules Claraz et l'abbé Flament : Claraz
essaie de démontrer aux spectateurs la supériorité de la science et de la morale
sur les dogmes des Eglises tandis que l'abbé Flament essaie de délier les fils
du raisonnement de son compétiteur . Les frénésies anticléricales ne s'estompent
pas . Ainsi , lorsqu'en mai 1914 , le clergé somainois appelle la population à
pavoiser le 24 à l'occasion de la fête de Jeanne d'Arc , En Avant prend plaisir
à rappeler que Jeanne d'Arc fut livrée aux anglais par un haut dignitaire de
l'Eglise , Pierre Cochon , Evêque de Beauvais :"En ces temps-là , Jeanne était
aux yeux de l'église hérétique et fut brûlée comme telle" .
Si l'anticléricalisme est présent à Somain dÈs la fin du
dix-neuviÈme siÈcle , 1912 représente une date charniÈre . L'arrivée d'un
socialiste au fauteuil majoral précipite une vague anticléricale qui inaugure
pendant deux années un climat politique et religieux exécrable
.