CONCLUSION

 

Comment une paroisse apparemment si chrétienne au début du dix-neuviÈme siÈcle est-elle devenue si peu religieuse au début du siÈcle suivant ?
On a vu , en effet , que la restauration accomplie aprÈs la révolution rend assez rapidement une certaine physionomie religieuse à la ville de Somain . La population , essentiellement liniÈre , n'a pas perdu ses vieilles traditions chrétiennes malgré la subversion révolutionnaire .
Mais un tournant majeur intervient au milieu du dix-neuviÈme siÈcle : la découverte du charbon . Au fur et à mesure , la cité s'industrialise , le chemin de fer installe une gare et un dépôt , les communications se développent .
Aussi Somain accueille des populations ouvriÈres . Le comportement religieux des nouveaux habitants est différent de celui des autochtones ; malgré les coutumes ancestrales , la plupart des ouvriers abandonne peu à peu les pratiques réguliÈres tout en continuant par tradition les actes essentiels d'appartenance à la chrétienté : baptême , communion , mariage et extrême-onction .
Il semble donc bien que le responsable de la déchristianisation soit l'industrialisation . La similitude entre l'arrivée des populations ouvriÈres et le développement de la déchristianisation est réelle .
Louis Trénard , dans son article sur les origines de la déchristianisation du diocÈse de Cambrai nous livre quelques interprétations permettant de caractériser le pourquoi de l'abandon des pratiques réguliÈres :"On sait que les déracinés rompent volontiers avec leurs habitudes de pratique religieuse , au moment o- ils ne se sentent plus pris dans un réseau de relations . Le nombre et le déracinement constituent des facteurs favorables à la déchristianisation"  . Peut-on expliquer l'abandon des pratiques religieuses de ces populations par une faible intégration dans la communauté villageoise ? le fait est probable mais insuffisant . L'exemple le plus significatif est le hameau de la Renaissance installé à la périphérie de la ville . On sait que le métier de mineur est mal considéré . Or , il semble que les habitants de la Renaissance soient mal intégrés au sein de la communauté villageoise encore exclusivement paysanne . Les mineurs dédaignent à prendre le chemin de l'église Saint-Michel pour les offices dominicaux . Le fait qu'il n'y ait pas de prêtre au milieu de cette communauté explique également cette sorte de repli religieux . On peut donc imputer à diverses caractéristiques , le déracinement , la faible intégration , une insuffisante présence religieuse , la responsabilité de la déchristianisation partielle du milieu du dix-neuviÈme siÈcle à la Renaissance .
D'autres interprétations nous conduisent à examiner les conséquences du travail industriel sur le comportement religieux des ouvriers . Il semble , au premier abord , que la nature même du travail industriel conduit à l'irréligion . Par exemple , l'obstacle dressé parfois à la sanctification du dimanche joue certainement un r"le : l'ouvrier n'ose risquer de perdre son salaire , voire son emploi , pour aller à la messe . Une certaine compromission entre l'Eglise et le patronat  contribue à ruiner la confiance du prolétariat dans la charité chrétienne . Quelquefois , l'esprit apostolique du clergé semble mal adapté aux mentalités ouvriÈres . La presse , le livre , le cabaret favorisent l'indifférence religieuse . Enfin , l'anticléricalisme , qui se développe en fin de siÈcle , s'adresse bientôt aux défavorisés aprÈs avoir conquis une bourgeoisie voltairienne .
L'unanimité religieuse du second empire s'effondre rapidement sous la troisiÈme république . Si en 1860-1870 , prÈs de 60 % des habitants participent à la mission , les chiffres baissent inévitablement  : 40 % dans la décennie 1870 , 25-30 % dans la décennie 1890 .
Outre l'évolution économique , démographique et social de la cité , le contexte général ne fait qu'amplifier le phénomÈne . Ainsi , l'installation d'une troisiÈme république plutôt anticléricale est visiblement mal ressentie par le clergé qui se sent attaqué de toute part . La lutte scolaire exprime bien la volonté des républicains de soustraire les enfants de la tutelle de la religion . Dans ce contexte , la volonté du clergé local n'est pas exempte de considération . L'abbé Carpentier réussit , au prix d'efforts incessants , à sauvegarde la qualité chrétienne de sa paroisse . Si la contestation anticléricale prend de l'ampleur , le curé garde le respect de tous . A l'inverse , l'abbé Buzin de caractÈre autoritaire , malgré un zÈle constant , ne peut empêcher sa paroisse d'être fortement touchée par le processus de déchristianisation . Il faut dire qu'il contribue à mettre le feu aux poudres : présent sur la scÈne politique et religieuse , il se fait nombre d'inimitiés . Les violences verbales et physiques du curé indignent de nombreux paroissiens . Heureusement , l'arrivée de l'abbé GuéquiÈre permet de calmer quelque peu les velléités et de percevoir une certaine renaissance religieuse .
Les desservants de Somain ont eu conscience du problÈme ouvrier . Seulement , ils n'ont pas toujours su y répondre . Si l'abbé Carpentier comprend la grande utilité d'une chapelle pour les mineurs de la Renaissance , l'abbé Buzin hésite sur l'action à mener : il pense organiser des oeuvres regroupant les ouvriers le dimanche dans une morale chrétienne . Il compte sur la bourgeoisie pour mener l'action sociale et charitable . Mais les ouvriers ne répondent pas aux espérances du prêtre . Aussi , lorsque la cité de De Sessevalle prend son essor , il sent toute la difficulté à faire pénétrer le message religieux au cœur d'une population pour le moins indifférente . Alors , il met en place , avec l'aide de la Compagnie des Mines d'Aniche , une paroisse ouvriÈre afin d'adapter une direction pastorale spécifique à ce genre de population . Cependant le résultat n'est pas garanti . En effet , si la Renaissance montre rapidement une physionomie religieuse , la population de De Sessevalle reste dans sa majorité indifférente à la religion . Pourquoi cette différence ? Il semble que la tradition religieuse soit moins entamée à la Renaissance qu'à De Sessevalle : la chapelle de la Renaissance est créée au milieu du dix-neuviÈme siÈcle à un moment ou le message religieux , relayé par le pouvoir impérial , est encore déterminant . Le maintien dans un climat religieux ( école des sœurs , soins , population peu nombreuse et situation excentrée ) favorise la re christianisation du hameau . Au contraire , la création de la paroisse de De Sessevalle , si elle semble indispensable , n'est plus en mesure de rechristianiser totalement le quartier ; il faut dire que le hameau est fondé dans des temps anticléricaux . Or , à cette époque , le sentiment religieux a fortement régressé . La situation est d'autant plus difficile pour le prêtre que les mineurs embauchés sont pour la plupart d'anciens ouvriers de la Compagnie des Mines d'Anzin licenciés en 1906 suite à la grande grÈve qui a suivi la catastrophe de CourriÈres .
Avec l'abbé Guéquière vient le temps du regroupement des forces catholiques dans des associations à caractÈre professionnel . Ainsi , les cheminots catholiques se regroupent en association en 1914 malgré la grande désapprobation de leurs collÈgues déchristianisés .
En 1912 , une municipalité socialiste est élue : cet évÈnement situe l'importance du détachement .
La guerre qui s'annonce regroupe partisans et adversaires de l'Eglise dans les mêmes tranchées . Ainsi , le climat détestable de l'avant-guerre n'est plus de mise aprÈs la "der des ders" .