CHAPITRE XIV

 


LA LIQUIDATION DES ECOLES CONGREGANISTES

 


Les gouvernements radicaux de Waldeck-Rousseau et Combes engagent une lutte anticléricale . Les lois et décrets anticléricaux se succÈdent , dirigés essentiellement contre les congrégations enseignantes . La loi du 9 juillet 1901 ordonne aux congrégations non autorisées d'obtenir une autorisation légale avant le premier octobre . En 1902 , le gouvernement dirigé par Combes "inaugure un ministÈre de combat anticlérical en faisant fermer les établissements non autorisés des congrégations autorisées"  . Le 13 mars 1903 , les demandes d'autorisation sont rejetées en bloc par la chambre des députés . Les expulsions commencent . Ce sont les congrégations féminines qui sont les plus touchées par le mouvement . Une loi votée le 7 juillet 1904 interdit l'enseignement aux congréganistes et prévoit la fermeture des établissements dans un délai maximum de dix ans .
Les trois écoles congréganistes de Somain et Villers-Campeau sont concernées par cette dispersion . La liquidation des écoles congréganistes signifie-t-elle la fin de ces écoles ? Comment réagissent les populations ?

A - LA SECULARISATION DES ECOLES DE VILLERS-CAMPEAU ET DE SAINTE-ANNE

1 - L'école de Villers-Campeau
La premiÈre école à perdre ses religieuses est la plus récente . L'école de Villers-Campeau , érigée en 1882 par le comte de Campeau , est dirigée par trois sœurs de la Sainte-Union . En 1902 , elles doivent quitter l'établissement . Les habitants du village craignent la disparition de l'école . Aussi se montrent-ils mécontents . Le jour de la distribution des prix , le curé de Somain remercie les sœurs pour l'action qu'elles ont menées pendant vingt ans . "C'est maintenant l'heure des ténÈbres , ajoute-il , comme lors de la Passion du sauveur ; espérons que luira bient"t le jour de la Résurrection" . AprÈs la distribution des récompenses , Goube , au nom des pÈres de famille , prononce quelques mots :"L'heure n'est pas aux justes déclarations qui d'elles-mêmes veulent nous monter aux lÈvres ... . Qu'a-t-on à vous reprocher ? vous ne vouliez que le bien , le plus grand bien ... . Malgré tout , malgré vos services rendus , au mépris de tous vos droits de françaises , violant la liberté qui , dit-on , n'est refusée à personne , on vous expulse de votre demeure , ... , sans prendre garde que dans notre commune , nos enfants sont désormais privés de tout moyen de s'instruire" . Le fondateur , le comte de Campeau rappelle les objectifs qui l'avait conduit à créer cette école :"Vous vouliez et nous voulions avec vous , mesdames , former dans cette école , sans qu'il en coûte un sou à la commune , des enfants chrétiens , soumis à leurs parents , des citoyens honnêtes et courageux . Vous avez dépensé à cette tâche votre santé : merci de votre oeuvre ...". La salle , prise d'émotion , entonne un "Vivent les Sœurs !" . Un dernier défilé conduit les religieuses sur la route de l'exil . La paroisse entiÈre suit le cortÈge o- est présent le comte de Campeau , le curé et les vicaires de Somain . Les hommes hissent des pancartes sur lesquelles on peut lire "Vivent les sœurs ! Vive la liberté !" .
L'école libre du comte de Campeau reprend son enseignement à la rentrée 1902-1903 avec du personnel sécularisé . Mais déjà , la municipalité de Villers-Campeau pense construire une école publique qui ne verra le jour qu'en 1908 .

2 - L'école Sainte-Anne
L'école Sainte-Anne appartient à la congrégation des sœurs de la Providence de Porthieux  . L'école , qui a connu une grande vogue dans la deuxiÈme moitié du dix-neuviÈme siÈcle , est en difficulté suite à la création de l'école laïque de filles en 1889 . Les effectifs baissent d'année en année .
En 1901 , les sœurs sollicitent une autorisation pour continuer l'enseignement . En 1903 , au moment o- l'abbé Buzin se réjouit que l'école n'a pas perdu d'élÈves , l'expulsion des sœurs est ordonnée  . La municipalité , sollicitée par l'autorité , n'émet pas d'avis et s'en remet au gouvernement  . Le curé proteste énergiquement mais ses appels , qui ne sont pas relayés par les parents , ne sont pas entendus . Il se résigne et reprend en main les destinées de l'établissement aprÈs le départ des religieuses . Il réussit au prix de mille difficultés à embaucher du personnel sécularisé . Mais l'année scolaire est déjà bien entamée et la majorité des élÈves a déserté pour l'école laïque . L'école "amaigrie" reprend .
Mais bientôt les héritiers de la défunte Carpentier font valoir leurs droits sur la propriété en prétendant que les sœurs de la Providence ne respectent plus les termes du contrat . La  révocation de l'acte de donation intervient par jugement rendu le 18 mars 1914 . A cette date , l'école Sainte-Anne ne peut plus fonctionner .

Les deux écoles ont donc perdu leur personnel religieux . Mais les sœurs ont été remplacées par du personnel sécularisé . Aussi , la protestation des populations est restée somme toute modeste . Différent est le cas de l'école de la Renaissance qui fait naÎtre un mouvement revendicatif beaucoup plus conséquent .

B - L'ECOLE DE LA RENAISSANCE

1 - Une décision surprise
Les filles de la Charité , présentes au hameau depuis plus d'un demi-siÈcle , y sont trÈs populaires . En juillet 1903 , les habitants apprennent avec stupeur la fermeture de leur unique école consécutivement au renvoi des sœurs . Le conseil municipal favorise un tel dénouement par le vote défavorable qu'il émet contre les sœurs du hameau . L'abbé Buzin , apprenant ce coup de poignard , crie à la forfaiture . Dans une lettre ouverte , le curé de Somain fustige les dix-sept conseillers qui ont voté cet avis défavorable :"Vous avez commis cet acte que je ne veux pas qualifier . Tout cœur droit s'indigne de votre conduite ... . Il vous était si facile , si vous aviez peur de passer pour cléricaux en donnant un avis favorable , de décliner votre compétence et de vous élever à la hauteur des conseillers municipaux de Douai"  .
Les habitants de la Renaissance refusent d'autant plus l'application de la mesure qu'elle signifie la fin de l'école .

2 - La résistance
La résistance s'organise . Une manifestation est prévue . Les autorités prennent peur et envoient sept gendarmes pour faire régner l'ordre . Le lundi 9 juillet 1903 , la population de la Renaissance , hommes , femmes et enfants , forme un cortÈge et part manifester à Somain . L'hôtel de ville est fermé . Les délégués des manifestants partent chercher l'adjoint Mio à qui est remis la protestation destinée au préfet  . Alors que l'entretien entre l'adjoint et les délégués se poursuit , des contre-manifestants viennent narguer les manifestants qui attendent sur la place de la mairie . Aux :"A bas la calotte !" , on riposte des "Vivent les sœurs ! Vive la liberté !" . Parmi les rangs des contre-manifestants , on reconnaît un groupe d'enfants de l'école laïque . Sur le chemin du retour , les manifestants sont suivis par des collectivistes qui chantent l'internationale . 
Revenus au hameau , les habitants expriment aux sœurs de la charité leur volonté de les garder :"Si on vous chasse , ce sera malgré nous et de force"  . De fait , les hommes organisent la résistance . On poste des sentinelles aux endroits stratégiques du hameau . Un guetteur est en place sur le terril de la briqueterie d'o- il domine la gare et voit les gens qui prennent la direction du hameau . Nul ne peut entrer à la Renaissance sans être repéré . Un poste d'une dizaine d'hommes s'installe en permanence devant la porte des sœurs . Un tambour et un clairon sont prêts à donner l'alarme . Une premiÈre alerte est donnée le mercredi 11 juillet . Le commissaire spécial Lohmann vient à la Renaissance en début d'aprÈs-midi à l'heure o- les mineurs descendus le matin ne sont pas encore remontés et ceux qui descendent l'aprÈs-midi sont partis . Les femmes renforcées de quelques hommes accourent et barrent l'entrée de la maison des sœurs . Le commissaire demande à entrer ; il n'a , dit-il , qu'un papier à remettre . Mais on ne lui permet pas . Voyant que toute discussion s'avÈre inutile , il repart à Somain pour aviser la préfecture .
Les mineurs renforcent les mesures de protection ; la garde est triplée . Le lendemain , jeudi 12 juillet , une nouvelle tentative de l'administration avorte . Le vendredi 13 , le garde Pouille , accompagné des socialistes d'Aniche , tente de faire la signification d'expulsion aux sœurs . Mais les portes restent délibérément fermées . Le chapelain Mocq , qui dirige les opérations , anime ses troupes contre les "ignominies du bloc"   . Les habitants de la Renaissance envoient le lundi 16 juillet une délégation composée de quelques mineurs et du directeur de la briqueterie Courtecuisse pour aller aux nouvelles . Le maire reçoit la délégation et exhorte les délégués à abandonner cette résistance qui lui parait dangereuse . Mais les délégués réaffirment leurs positions tout en expliquant que leur démarche reste passive .
Quant à la Compagnie des Mines d'Aniche , propriétaire des bâtiments d'école , elle tente une ultime démarche auprÈs de la préfecture .

3 - Vers un dénouement ?
Fin juillet , les autorités font un geste et proposent une solution . Si celle-ci n'est pas pleinement satisfaisante , elle permet un sursis à l'école :"Par décision du 6 juillet courant , le président du conseil , ministre de l'intérieur et des cultes , a rejeté la demande d'autorisation formulée par l'établissement que vous dirigez . Un délai expirant le premier août prochain avait été assigné pour la fermeture de votre établissement . J'ai l'honneur de vous informer qu'aprÈs nouvel examen de la situation , monsieur le président du conseil m'autorise à titre exceptionnel à surseoir à la fermeture de l'école maternelle dépendant de votre établissement , en vous accordant un délai dont le terme sera fixé ultérieurement" .
L'école élémentaire est fermée définitivement : Les filles sont accueillies dans les écoles de Somain . Les habitants de la Renaissance conviennent qu'il s'agit d'un résultat .
Mais en août 1904 , une lettre de la préfecture annonce la fermeture définitive de l'établissement , "le délai ayant expiré et ne pouvant être reconduit" . Les habitants de la Renaissance rédigent une nouvelle pétition . Mais la combativité n'y est plus . La Compagnie des Mines d'Aniche refuse d'employer du personnel sécularisé . Elle prend acte de la fermeture et récupÈre les locaux "pour les divers besoins de l'exploitation" .
Ainsi , la résistance des populations miniÈres n'a pas fléchi le projet : en 1904 , la fermeture de l'ensemble scolaire est bien effective . Les sœurs de la charité quittent le hameau . L'orphelinat est fermé . Désormais tous les enfants de la Renaissance prennent la route de Somain pour chercher l'instruction .


L'épisode des expulsions des congrégations enseignantes est un prélude à la séparation de l'Eglise et de l'Etat . La liquidation des établissements congréganistes n'a pas donné lieu partout à la disparition des écoles . Souvent un personnel sécularisé reprend le flambeau . Au contraire , l'école de la Renaissance disparaÎt consécutivement au renvoi des sœurs . C'est pourquoi la résistance est plus active à la Renaissance . Cependant , le mouvement n'est pas insurrectionnel et la volonté politique vient à bout des résistances des mineurs .
L'école Saint-Joseph , dirigée par des laïcs , n'est pas inquiétée . En 1902 , le directeur est un certain Guislain ( il a remplacé le vicaire ) . Entre-temps , un nouvel inspecteur de l'enseignement privé , l'abbé Gennevoise vient s'installer à Somain en remplacement du défunt Lesens  .