CHAPITRE XVII

 


DE BEAUREPAIRE A SESSEVALLE
CREATION D'UNE PAROISSE MINIERE

 

Le quartier de Beaurepaire était autrefois le centre religieux de Somain avec le prieuré et la grande chapelle Notre-Dame des Orages . Mais la révolution a mis fin à cette existence religieuse . Seule la petite chapelle Notre-Dame des Orages construite en 1823 fait référence au passé religieux de cette partie de la paroisse . 
La découverte d'un filon carbonifÈre à proximité de Beaurepaire et l'implantation d'une population destinée à l'exploitation de la fosse donne le signal d'une renaissance de Beaurepaire . Les populations miniÈres , qui sont relativement éloignées de Saint-Michel , ont besoin des secours de la religion .
Mais en ces temps d'anticléricalisme et de désengagement de l'Etat , comment envisager la création d'une paroisse ? Les Mines d'Aniche vont-elles prendre le relais de l'Etat ? Comment les mineurs de Beaurepaire vivent-ils la religion catholique ?

A - DE LA CREATION DE LA FOSSE A LA CITE MINIERE ( 1899 - 1908 )

1 - Création de la fosse
a - découverte du gisement
Depuis 1773 , la Compagnie des Mines d'Aniche exploite la concession obtenue par le Marquis de Traisnel . Mais seule une partie de cette vaste concession est exploitée . Des recherches sont entreprises en fin de siÈcle dans des zones non encore  exploitées . En 1899 , on découvre un faisceau houiller à la limite des trois communes de Villers-Campeau , Rieulay et Somain . Le filon découvert fait apparaÎtre un charbon de qualité "maigre-quart-gras" qui permet de diversifier la production car la Compagnie d'Aniche produit essentiellement du charbon "gras"  .
b - la fosse "De Sessevalle"
La nouvelle fosse est baptisée "De Sessevalle" en l'honneur d'Anatole de Sessevalle qui fut directeur de la Compagnie de 1869 à sa mort en 1902  . La fosse est foncée en 1901 au diamÈtre de cinq mÈtres sur le territoire de Villers-Campeau dans un gisement vierge . L'exploitation commence en 1904 par les veines Henri et Anatole , dans un riche gisement de charbons maigres d'exploitation assez facile . DÈs 1906 , la production atteint 200000 tonnes puis 332000 tonnes en 1908 . Un second puits d'un diamÈtre de quatre mÈtres est creusé en 1905 et entre en service en 1908 .
Le nouvel établissement devient en quelques années relativement important au sein de la Compagnie d'Aniche : De Sessevalle représente 17 % de la production totale de la Compagnie en 1908 .
Le nouveau siÈge semble appelé à un avenir confortable .

2 - Création d'une cité attenante à la fosse
La difficulté pour les Mines d'Aniche réside dans l'embauche des ouvriers . En effet , le marché du travail est trop exigu‰ . Les compagnies miniÈres se livrent une concurrence féroce à l'embauche . De plus , il faut attirer des ouvriers qui n'appartiennent pas déjà à la Compagnie pour ne pas dépeupler les autres puits . Aussi , on s'efforce de débaucher les mineurs des compagnies voisines , on embauche d'anciens ouvriers agricoles qui démarre dans le métier , on accepte des ouvriers étrangers . Mais cela n'est pas suffisant ; le site n'attire pas , il n'y a pas assez d'avantages consentis . Pourtant , le métier de mineur est bien rémunéré , mieux que les verreries d'Aniche ou les métallurgistes de Denain   . Mais le travail est dur et peu considéré .
Pour remédier à cette situation , la Compagnie d'Aniche décide de construire une cité miniÈre attenante à la fosse . L'offre faite par la Compagnie produit son effet car l'habitat représente pour l'ouvrier un avantage certain . La proximité fosse-coron permet d'augmenter les rendements et la productivité grâce à une moindre fatigue du mineur lors du déplacement . Les nouvelles habitations sont décentes . Avec les autres avantages consentis aux mineurs , on peut considérer que la Compagnie pourvoit à tout .
La solution adoptée par les Mines d'Aniche est un succÈs comme l'indique le curé de Somain :"A peine terminées , les maisons étaient prises comme d'assaut par les nouveaux venus et plus d'un arrivant eut beaucoup de peine à transporter ses meubles de la route de Rieulay à sa demeure à travers l'amoncellement des matériaux de toute sorte destinées aux constructions"  . Trois cités sont construites dÈs 1906 à proximité immédiate du carreau de la fosse . En 1908 , 364 logements sont opérationnels . La population du hameau compte presque 1800 âmes en 1909 . Cette arrivée subite gonfle le poids démographique de Somain : la population augmente sensiblement en cinq ans : 7050 habitants en 1906 , 9611 habitants en 1911 soit un accroissement de 36,3 % ( + 7,2 % par an ) ; c'est le plus fort taux d'accroissement de la commune . La fosse exploitera en 1928 plus de 2500 mineurs ! 
Le hameau , construit presque exclusivement sur la commune de Somain , est un entité à part entiÈre . Relativement excentré par rapport au centre-ville , il acquiert dÈs le départ une certaine autonomie . Quant au terme de Beaurepaire , il disparaÎt au profit de celui de "Sessevalle" . Le quartier est le hameau de la Compagnie . Toutes les activités sont tournées vers la fosse . C'est elle qui domine et "emprisonne" le mineur toute sa vie . Le curé de Somain loue la politique sociale et paternaliste des Mines d'Aniche :"360 maisons couvrent déjà ce sol prédestiné , alignant leurs gais pignons sur de magnifiques allées et offrant aux ouvriers un séjour peu coûteux , bordé de jardinets jalousement cultivés , une situation hygiénique exceptionnelle et à proximité du travail quotidien"  .

3 - Sur le plan religieux
a - bénédiction de la fosse
La Compagnie des Mines d'Aniche fait montre depuis le milieu du dix-neuviÈme siÈcle d'un grand intérêt pour la chose religieuse . Elle possÈde des chapelles , elle paie des chapelains , elle emploie des congrégations religieuses pour ses écoles et pour les soins des ouvriers . Les noms de baptême de ses fosses sont souvent religieux . Ajoutons enfin qu'une partie des administrateurs de la Compagnie est composée d'industriels sucriers de la région de Cambrai ( Delloye - Dejardin ) proches semble-t-il de l'administration diocésaine .
Mais l'intérêt porté aux questions religieuses n'est pas toujours innocent . En effet , il semble que la Compagnie compte sur le soutien des religieux pour socialiser ses ouvriers . C'est donc tout naturellement que la Compagnie des Mines d'Aniche sollicite le clergé somainois pour la bénédiction de la fosse "De Sessevalle" . La cérémonie a lieu le 21 juillet 1902 en présence de tous les administrateurs et ingénieurs  . Le curé de Somain , revêtu du rochet et de l'étole , adresse en la circonstance quelques paroles de remerciement à la Compagnie :"Je vais à votre demande appeler le secours de Dieu sur cette fosse et en même temps la placer sous la protection de la Sainte-Vierge qui a été honorée ici-même sous le nom de Notre-Dame des Orages . Au milieu de ce monde qui ne veut plus de Dieu et qui nous fait la guerre , c'est une bien grande consolation que d'être appelé par une compagnie aussi distinguée que la votre à bénir cette fosse de Sessevalle" . Puis l'abbé Buzin récite les priÈres inspirées par l'Eglise pour ce genre de bénédiction et , suivi de tous ces messieurs , il parcourt les dépendances du puits , les arrose d'eau bénite en récitant le "Miséréré" .
La collaboration entre la Compagnie et le clergé est certaine . Cette collaboration peut permettre : au clergé de sauvegarder un esprit chrétien dans une population sujette à la déchristianisation , à la Compagnie d'utiliser le clergé pour socialiser les mineurs afin de noyer toute contestation . Mais cette entente peut déclencher chez les mineurs un rejet du catholicisme considéré comme allié des patrons contre leurs intérêts .
b - une population peu religieuse
La communauté appartient au monde de la mine . La quasi-totalité des hommes travaillent à la fosse . Mais la difficulté de trouver des ouvriers a déterminé l'embauche d'éléments souvent disparates : des régionaux , des étrangers ( belges , polonais originaires de la ruhr ) . Mais surtout la Compagnie emploie à de Sessevalle les mineurs les plus acharnés et les plus contestataires licenciés par la Compagnie d'Anzin aprÈs la grÈve de 1906 qui a suivi la catastrophe de CourriÈres . Aussi , la population du hameau est largement convertie aux doctrines socialistes et anticléricales .
Au départ , le hameau de Sessevalle dépend de Saint-Michel . Mais cette charge supplémentaire occasionne beaucoup trop de travail au curé et à ses deux vicaires . L'abbé Buzin éprouve des difficultés pour répondre aux sollicitations des mineurs ( bénédiction des maisons notamment ) . Mais surtout il perçoit la croissance de l'indifférence religieuse . Aussi , il doit faire beaucoup pour tenir en main les personnes sujettes à l'abandon des pratiques . Trop peu de mineurs se rendent à la messe dominicale en prétextant l'éloignement de l'église paroissiale . Le curé de Somain craint que le temps mette fin à la vie chrétienne de ses paroissiens d'un genre particulier :"Si on le laisse grandir ( le hameau ) et se compléter sans exercices religieux , parmi eux , il s'y formera une population sans Dieu et si pas ennemie , au moins indifférente à toute pratique religieuse"  . Il plaide sa cause auprÈs de la Compagnie d'Aniche en espérant que celle-ci fera un geste ; il sollicite un local pour aller y dire la messe et faire le catéchisme :"C'est une dépense essentielle devant laquelle j'espÈre que l'administration ne reculera pas" .
Pour réussir dans son entreprise , il compte sur le soutien de son cousin , le vicaire général Massart , lui-même familier de l'ingénieur directeur de la Compagnie des Mines d'Aniche Lemay  . Le souhait du vice-doyen est pris en considération . Des négociations s'engagent entre l'administration diocésaine , la Compagnie d'Aniche et le clergé somainois . Le deux septembre , l'abbé Buzin fait état de l'avancement du projet :"... à l'heure qu'il est , nous sommes en plein projet de bâtir église et presbytÈre à Beaurepaire ..." . Les négociations aboutissent : la Compagnie des Mines d'Aniche prend en charge la construction d'une église , d'un presbytÈre et d'une salle de patronage . En fait , c'est de la création d'une véritable paroisse qu'il s'agit . Cette solution satisfait le curé de Somain qui estime que les mineurs demandent une orientation pastorale particuliÈre . En outre , la relative autonomie du hameau par rapport à Somain sort renforcée par la constitution d'une paroisse .
L'aboutissement du projet met en exergue les excellentes relations entretenues entre les Mines d'Aniche et le clergé somainois . On a vu avec la bénédiction de la fosse que le curé de Somain a une bonne opinion de la Compagnie . Il considÈre que la politique sociale et religieuse de la Compagnie est bienfaitrice pour les ouvriers :"Les administrateurs de la Compagnie d'Aniche savent que leurs ouvriers ont une âme , et qu'il ne suffit pas de leur procurer le bien-être du corps , mais qu'il faut penser encore au bien de l'âme . Et , avec une admirable munificence , ils ont résolu de bâtir une grande église avec une demeure pour le prêtre qui la desservira"  .

B - UNE PAROISSE A DE SESSEVALLE

1 - La construction de l'église
La construction de l'ensemble paroissial dure deux ans ( 1908 à 1910 ) . La premiÈre pierre de l'église est posée et bénite par le vice-doyen Buzin le 2 juillet 1908 . Une croix est plantée sur l'emplacement du futur autel par "délégation de monseigneur l'archevêque" . Des photos d'époque témoignent de la tenue de cette cérémonie . "On y voit le curé Buzin en camail , en train de prononcer les paroles canoniques devant un parterre de personnes endimanchées et d'ouvriers en tenue de travail"  .
L'emplacement choisi pour le site de la nouvelle église est distant de quelques trois cent mÈtres des corons proprement dits . Les travaux débutent en 1908 . La Compagnie des Mines d'Aniche voit grand et l'édifice projeté n'est pas une simple chapelle mais une grande église cruciforme . Le presbytÈre est construit à proximité immédiate de l'église . Un patronage est également mis en chantier : il a usage de salle de catéchisme , salle des fêtes , salle couverte pour abriter le patronage des enfants , salle de réunion pour les sociétés et confréries . Tout cet ensemble permet une vie religieuse animée dans des locaux adéquates .
Cependant tout n'est pas si simple . Le vocable de l'église déterminé par le curé Buzin engage le clergé de Somain et de Rieulay dans une querelle interminable .

2 - Le choix du vocable
L'abbé Buzin choisit le vocable de Notre-Dame des Orages pour la nouvelle église de De Sessevalle en référence à l'ancienne chapelle . Si ce choix semble insolite vu la particularité miniÈre du hameau , cet intitulé a un rapport certain avec la fosse depuis que le vice-doyen l'a placée sous cette divine protection lors de la bénédiction de la fosse en 1902 . L'origine du vocable remonte au passé moyenâgeux  .
La chapelle Notre-Dame des Orages fut détruite à la révolution et la statue de la vierge jetée dans un fossé . Recueillie par un habitant de Marchiennes-Campagne  , elle fut remise au curé de Rieulay au concordat . Le fait de posséder l'antique statue permet à la paroisse de Rieulay d'établir une fête à Notre-Dame des Orages le 2 juillet . En 1865 , l'abbé Becquart , nouveau prêtre de Rieulay , veut intensifier le culte : il développe la procession qui prend un caractÈre régional , il établit une confrérie , fait frapper des médailles et imprimer des images sous ce titre . Les bénéfices permettent à la cure de Rieulay de se doter d'une nouvelle église paroissiale plus en rapport avec la dévotion .
Mais la paroisse de Somain , qui a reconstruite une petite chapelle en 1823 , n'abandonne pas la dévotion . La messe traditionnelle est célébrée tous les 2 juillet à cinq heures ; c'est le jour de l'assomption , le 15 ao-t , que les somainois se rendent en procession à la chapelle Notre-Dame des Orages décorée pour la circonstance . Du haut de la chaire improvisée , un prêtre adresse des exhortations à la foule en chantant les litanies et en récitant le chapelet . Puis la procession reprend sa marche au son du magnificat en direction de l'église Saint-Michel par l'avenue de Beaurepaire et la route de Marchiennes . "L'enthousiasme de ces pieuses foules était humilié du modeste sanctuaire de sa puissante protectrice"  . Cette citation du curé Buzin est significative : il regrette ardemment de ne pas pouvoir construire une chapelle plus en conséquence de la dévotion . Or la chance lui sourit :"Mais voici que la divine providence , par ses voies admirables , amÈne ici une population ouvriÈre à qui il faut une église . Par la générosité de la Compagnie , cette église s'élÈve déjà plus belle et plus grande que nous n'aurions pu la bâtir en l'honneur de Notre-Dame des Orages et dans un an sa statue pourra quitter son trop modeste sanctuaire pour entrer en triomphe dans sa vaste église" . 

3 - La querelle entre Somain et Rieulay à propos du vocable
a - le début de la querelle
Le curé de Rieulay rentre dans une colÈre noire lorsqu'il apprend la nouvelle en 1909 . Il attire l'attention de l'administration diocésaine sur :"le grand inconvénient qu'il y aurait pour plus tard à avoir deux fêtes rivales l'une de l'autre car il est à supposer que le curé de Notre-Dame de Sessevalle , voudra célébrer dignement la fête de la patronne de son église"  . La réponse du vicaire général Catteau ne le rassure guÈre :"Nous ignorons sous quel vocable a été posée la premiÈre pierre ...". Cependant , il l'assure que si le vocable choisi était celui de Notre-Dame des Orages , "on lui substituerait un autre titre le jour o- l'église serait bénite , ... , Rieulay ne sera pas dépossédé" . On peut s'étonner du fait que l'archevêché ne connaissait pas le nom de baptême de l'église alors que la pose de la premiÈre pierre a été faite par délégation de monseigneur l'archevêque .
Le vice-doyen de Somain s'efforce de calmer le jeu en expliquant dans sa notice sur Beaurepaire , qui parait dans Le Régional d'avril à juillet 1909 , l'ancienneté de la dévotion fondée à Somain . Le 11 juillet 1909 , en guise de conclusion , il annonce officiellement que l'intitulé "Notre-Dame des Orages" sera le nom de baptême de la nouvelle église de De Sessevalle . Mais il ajoute pour apaiser les esprits :"Mais loin de nous la pensée de porter ombrage à qui que ce soit . La paroisse de Rieulay , fille de la paroisse de Somain , possÈde l'antique statue et par le zÈle de l'ancien curé Becquart , est devenu le centre de la dévotion et de la confrérie de Notre-Dame des Orages , ainsi que le siÈge d'un pÈlerinage régional . Mais elle ne peut trouver mal que la paroisse d'origine de cette dévotion garde , le deux juillet , sa messe traditionnelle à cinq heures et sa procession du quinze août . S'il y a une difficulté , c'est pour cette messe qui , depuis que la chapelle est détruite , est chantée à l'église paroissiale de Somain . Maintenant la chapelle pourra satisfaire à ce devoir traditionnel et faire revivre l'ancien temps d'avant la révolution" . Cette conclusion ne tranquillise pas le curé de Rieulay , l'abbé Dhaussy . Une querelle s'amorce inévitablement . Elle va rebondir lors de la confirmation de l'intitulé de la nouvelle église de De Sessevalle en 1910 .
b - la bénédiction de l'église de De Sessevalle
L'orage ecclésiastique qui s'amorce se fera sans la présence de l'abbé Buzin qui décÈde le 16 novembre 1909 et qui par conséquent ne voit pas la réalisation de son projet . L'église achevée , on procÈde à la bénédiction de la cloche le 3 juillet 1910 puis de l'église elle-même le 31 juillet 1910 ; le matin à dix heures a lieu la bénédiction solennelle de la nouvelle église dédiée à la Sainte-Vierge sous le vocable de Notre-Dame des Orages . La cérémonie est présidée par monseigneur Massart , chancelier de l'archevêque spécialement  délégué à cet effet  . Les administrateurs et ingénieurs de la Compagnie miniÈre , de nombreux ecclésiastiques de la région assistent à la bénédiction . A cette occasion , l'abbé Vindevogel , premier curé de De Sessevalle , fait éditer un souvenir qu'il distribue à ses paroissiens .
c - "un orage ecclésiastique" 
Le nom de baptême se voit confirmer par la bénédiction . Pourtant , le curé de Rieulay n'est pas resté inactif . En avril 1910 , il s'interroge dans une lettre au vicaire général Catteau sur l'inscription "Notre-Dame des Orages" gravée au-dessus de la grand-porte de l'église de De Sessevalle :"N'y aura-t-il pas lieu de craindre des inconvénients pour l'avenir ? votre décision ( de 1909 ) sera-t-elle suffisamment respectée ?"  . Le vicaire général s'efforce de rassurer cette fois encore le curé en promettant qu'il n'y aura jamais de pÈlerinage à Notre-Dame de Orages à De Sessevalle . Cependant , il affirme , contrairement aux assurances données en septembre 1909 , que le nom donné à l'église lors de la pose de la premiÈre pierre est irrévocable !  . Cette volte-face inquiÈte l'abbé Dhaussy qui continue à alerter l'autorité diocésaine . Mais celle-ci , visiblement embarrassé , ne répond plus . Le desservant de Rieulay demande à son Doyen de servir d'intermédiaire en juin 1910  . Ce dernier semble ne pas se faire d'illusions sur les suites de l'affaire .
d - l'implication de la Compagnie des Mines d'Aniche
Une solution de compromis semble avoir été envisagée en mars 1910 . L'abbé Vindevogel , vu la lettre-réponse du vicaire général du 19 août 1909 , aurait été disposé à changer de vocable pour celui de Notre-Dame de Lourdes alors que l'abbé GuéquiÈre était plut"t partisan de celui de "Sacré-cœur" .
Mais ces solutions échouent . La Compagnie des Mines d'Aniche , propriétaire de l'église , entend conserver le vocable choisi par l'abbé Buzin . L'abbé GuéquiÈre en aurait d'ailleurs prévenu le curé de Rieulay en ses termes :"Vous avez affaire à plus fort que vous : la Compagnie . Vous n'arriverez pas à avoir gain de cause" . Aussi , l'abbé Dhaussy s'en fait l'écho auprÈs de son Doyen : "Comment peut-on expliquer qu'une Compagnie purement industrielle puisse s'immiscer si puissamment dans une décision d'ordre strictement religieux ?" . En fait , l'archevêché se sent redevable à la Compagnie de cet effort pour le culte catholique . La date fatidique du 31 juillet approche ; le conseil de paroisse de Rieulay et l'abbé Dhaussy réitÈrent leurs demandes d'explications à l'administration diocésaine   . Une réponse du vicaire général ...Massart ( cousin de Buzin ) parvient à Rieulay :"Il n'est nullement question d'établir à De Sessevalle un pÈlerinage en l'honneur de Notre-Dame des Orages , ni d'en réclamer la statue vénérée , pour l'église de ce hameau ou pour celle de Somain . Messieurs les curés de Somain et de De Sessevalle sont prêts à signer un engagement dans ce sens . Mais nous n'avons pu refuser à la Compagnie des Mines d'Aniche le titulaire qu'elle a réclamé pour son église ..."
e - le curé de Rieulay en appelle à Rome
Le curé de Rieulay n'abdique pas . Il demande conseil à un religieux assomptionniste qui fait ses études théologiques à Rome , à un professeur de droit-canon à l'université catholique de Paris sur l'opportunité d'une requête . Une seule possibilité s'offre à lui : il doit saisir le Saint-siÈge afin de solliciter un indult de la congrégation des Rites . Va-t-il aller jusqu'à cette extrémité ? il n'hésite plus tant la procession du 15 août 1910 à Somain , relatée par Le Régional , l'exaspÈre au plus haut point . Le 29 août , il envoie un dossier complet à l'archevêque coadjuteur monseigneur Delamaire pour demander un nouvel arbitrage . Le desservant attend une réponse qu'il ne reçoit pas : on a encore choisi de l'ignorer . Une ultime provocation sessevalienne   persuade définitivement l'abbé Dhaussy qu'il faut en appeler à Rome . L'archevêché de Cambrai réagit enfin et prévient le curé de Rieulay par l'intermédiaire du Doyen Margerin de la probable inutilité de son entreprise :"Monseigneur l'archevêque ne reviendra certainement pas sur son attitude qu'il a prise au sujet du vocable de Notre-Dame des Orages . Le curé de Rieulay veut faire un procÈs à son évêque ! Qu'il marche ! Mais il perdra certainement son procÈs ... Nous trouverons des arguments pour
nous défendre et pour triompher"  . Pour constituer un dossier solide , l'abbé Dhaussy demande les conseils du pÈre Gonzalez du collÈge espagnol de Rome . Le pÈre Gonzalez répond aux vœux de l'abbé Dhaussy :"Vous devez vous informer bien si la Compagnie a mis dans la fondation de l'église de Sessevalle la clause acceptée par l'évêque qu'elle porterait le titre de la Sainte-Vierge des Orages parce qu'alors notre cause serait perdue ... Le cas de si la Compagnie a influé plus ou moins sur l'esprit de l'évêque ne porte aucun avantage sur votre cause parce qu'on comprend facilement qu'elle a influé et cela au moyen de bénéfice" . Le 29 novembre 1910 est remise la plainte du curé de Rieulay à la congrégation des Rites . Entre-temps , le Doyen de Marchiennes exhorte le curé Dhaussy à démissionner  :"Attaquer son archevêque est chose grave et grosse de conséquence ... Acceptez-donc votre changement et laissez à un autre le soin de terminer cette affaire" . Mais Dhaussy ne désarme pas ; la réponse qu'il envoie au Doyen est explicite :"Nous demandons une chose juste et il n'y a pas de raison de nous blâmer ... Il importe non d'avoir raison personnellement mais de savoir simplement s'il est permis à un curé de défendre les droits de sa paroisse jusqu'au bout".
Le 15 janvier , le jugement est rendu : d'un seul mot , "acquiescat" ( qu'il obéïsse ) , l'abbé Dhaussy est débouté . Le pÈre Gonzalez souligne l'ambiguïté de la décision lorsqu'il évoque à Dhaussy sa conversation avec le secrétaire de la congrégation qui lui aurait dit :"Nous n'avons pas donné tort au prêtre , nous avons dit seulement acquiescat".
Il est vrai qu'il est difficile de donner raison à un simple prêtre même dans son droit contre son évêque quand on sait l'importance de la hiérarchie dans l'Eglise catholique . Cette affaire , qui se termine sur une fin de non-recevoir , reste lourde de conséquences : les deux paroisses voisines restent longtemps en mauvais termes . Quant à l'abbé Dhaussy , il rompt avec un ultramontanisme autrefois militant .

C - LA VIE PAROISSIALE

Le hameau a désormais sa paroisse   . Cette autonomie religieuse avec église , presbytÈre et patronage est renforcée par le fait que le prêtre de la communauté ouvriÈre est l'homme de la Compagnie : elle le paie , lui alloue le presbytÈre et le soutient dans son ministÈre . L'abbé Vindevogel est donc quasiment indépendant de la paroisse Saint-Michel de Somain .

1 - Un prêtre démocrate
Jean Vindevogel est le premier prêtre à assurer le service pastoral dans la nouvelle église Notre-Dame des Orages .
Né le 17 août 1869 à La Madeleine dans une famille modeste  , le jeune Jean se destine à la carriÈre ecclésiastique lors de ses études secondaires d'Hazebrouck o- il compte parmi ses professeurs le célÈbre abbé Lemire qui y enseigne la philosophie et la rhétorique :"Il fut pour beaucoup qui entrÈrent dans le sacerdoce un maÎtre admiré autour de qui ils se rangÈrent lorsque , député , il devint une maniÈre de symbole"  . L'abbé Lemire , qui rêve d'un rapprochement entre les classes supérieures et les classes inférieures de la société , est l'apôtre du catholicisme social en France . Jean Vindevogel est profondément impressionné par le personnage . Ordonné prêtre le 30 juin 1895 à l'âge de vingt-six ans , il reste fidÈle tout au long de sa carriÈre à l'enseignement professé par l'abbé Lemire . Rallié à la république , fortement imprégné par l'encyclique Revum Novarum du pape Léon XIII sur la condition des ouvriers  , l'abbé Vindevogel reçoit des postes en phase avec ses orientations : successivement vicaire à Haspres ( 1895 - 1896 ) , à Villers-Outréau ( 1896 - 1903 ) et à Saint-Nicolas à Valenciennes ( 1903 - 1909 ) o- il est au contact des réalités quotidiennes des ouvriers .
Aussi , sa nomination dans le hameau ouvrier de De Sessevalle le premier mars 1910 revêt un caractÈre de continuité : on dénote en lui un charisme social capable de s'intégrer en terre délicate pour l'Eglise . S'il doit loger à Somain les premiers temps , il se rend chaque jour auprÈs de ses nouveaux paroissiens chez qui il prend rapidement un ascendant :"Jusqu'à l'achèvement de l'église et du presbytÈre , le curé de De Sessevalle demeurera à Somain et y dira la messe mais il se rendra chaque jour auprÈs de ses paroissiens pour les catéchismes et les visites aux malades" . L'abbé Vindevogel fait rapidement sentir au vice-doyen GuéquiÈre qu'il n'entend pas lui être subordonné . Il profite du fait qu'il est salarié de la Compagnie pour agir en totale autonomie du curé de Somain . Cette situation engendre parfois des frictions entre les deux coreligionnaires .

2 - Une vie religieuse animée

Le jour de la bénédiction de l'église , le 31 juillet 1910 , l'abbé Vindevogel procÈde aux baptêmes de dix-neuf enfants . La Croix s'en fait l'écho :"La cérémonie , unique sans doute en son genre , eut lieu ensuite . Il s'agissait du baptême de vingt-quatre enfants ( erreur certainement dans la transcription ou exagération volontaire ? ) de De Sessevalle , dont certains avaient huit ou neuf ans . Ceci est tout à l'honneur de Monsieur l'abbé Vindevogel qui , on le voit , a su depuis peu de temps conquérir l'estime et la confiance de ses nouveaux paroissiens"  . En fait , l'arrivée du chapelain permet de pallier l'insuffisante présence religieuse des années précédentes .
Une vie religieuse comparable à n'importe quelle paroisse s'installe donc avec offices dominicaux à sept heures et dix heures , vêpres l'aprÈs-midi à seize heures . Mais l'aspect le plus significatif de la vie religieuse est la création par l'initiative de l'abbé Vindevogel de divers groupements et confréries . Le curé peut compter sur un noyau de chrétiens qui se dévouent pour la cause catholique . Le 31 juillet , un groupe de jeunes gens assurent en public le chapelain qu'ils l'aideront dans son ministÈre . La confrérie de Saint-Ghislain groupe mÈres et enfants avec fête annuelle le premier lundi qui suit le 15 août . Une société de Sainte-Barbe regroupe les mineurs qui souhaitent célébrer leur sainte-patronne . Le patronage bénéficie de la disponibilité des locaux offerts par la Compagnie : on y fait du théâtre ; la société est forte de cent-vingt membres . Des fêtes y sont données tout au long de l'année . Par exemple , on organise le 11 janvier 1914 la fête des Oeuvres et la Consécration à la Sainte-Famille  . Le dimanche est le jour de réunion au patronage : les hommes viennent y jouer aux cartes , au billard , les jeunes gens et les jeunes filles y ont leurs distractions . Divers stands proposent une buvette , des pâtisseries , des frites ou des confiseries . La chorale paroissiale est forte d'une cinquantaine de membres . Le chantre-organiste est également jardinier au presbytÈre ( il est rétribué par la Compagnie ) . L'harmonie de De Sessevalle participe aux cérémonies religieuses .
Il nous est impossible de mesurer une quelconque pratique religieuse du hameau . Cependant , il semble que la population sessevallienne soit largement déchristianisée ou plus simplement indifférente à la chose religieuse . D'ailleurs , l'arrivée de cette nouvelle population précipite en 1912 l'élection d'un socialiste au fauteuil majoral . Par ailleurs , il semble que les habitants assimile la fête chrétienne de Sainte-Barbe à la fête du hameau : une grande majorité des habitants célÈbre la fête des mineurs . Cependant , l'indifférence et la volatilité de certains paroissiens à cette occasion sont significatifs . Le quatre décembre 1909 , la pluie contrarie le défilé qui se forme à la suite de la messe ; les mineurs se répandent alors dans tous les estaminets avoisinant l'église Saint-Michel , seuls quelques irréductibles continuent le défilé  .
L'abbé Vindevogel a donc un exercice difficile dans un hameau sociologiquement uniforme . Par ailleurs , ses soucis pastoraux sont compliqués par une nouvelle contestation .

3 - Une nouvelle contestation
Une nouvelle contestation éclate entre Somain , De Sessevalle et Rieulay . Le problÈme de l'intitulé de l'église est encore chaud , la rancune rieulaysienne est tenace . Une nouvelle controverse est soulevée à propos du Marais des Onze-Villes , hameau de Somain proche de Rieulay . Les habitants de ce hameau sont desservis par le curé de Rieulay . Un accord tacite entre les deux paroisses est observé sauf en ce qui concerne la publication des bans de mariage ( ces derniers continuent d'être du ressort de la paroisse Saint-Michel ) . Cependant , l'apparition d'une paroisse à De Sessevalle bouleverse ce schéma traditionnel .
Le 20 avril 1911 , les habitants du marais adressent une pétition à l'archevêque et y dénoncent les bruits qui font état d'un éventuel rattachement à De Sessevalle sur le plan spirituel . Le curé de Rieulay soutient la demande de ses paroissiens en envoyant une supplique au vicaire général Catteau :"Hélas , j'au déjà eu beaucoup d'ennuis à Rieulay ... M. le curé de Sessevalle dit tout haut que l'autorité diocésaine va prendre incessamment une décision pour rattacher à l'église de Sessevalle , le hameau dit Marais des Onze-Villes ... Il commence à déployer un zÈle qui parait inconsidéré pour attirer à son église les habitants de ce hameau ... Cette conduite parait étrange"  . Pour étayer son propos , l'abbé Dhaussy insiste sur l'importance financiÈre du marais pour Rieulay ( 35 francs pour les places occupées dans l'église ) . Le Doyen de Marchiennes s'efforce de tranquilliser le desservant de Rieulay :"... La pétition des habitants du Marais des Onze-Villes a beaucoup étonné ces messieurs de Cambrai . Il n'a jamais été question de réunir ce hameau à la nouvelle paroisse de De Sessevalle . On se demande qui a pu faire circuler un bruit qui ne repose absolument sur rien . J'en suis heureux car je vous plaindrais d'être obligé de lutter contre de nouvelles difficultés"  .
Il semble que cette nouvelle querelle soit la conséquence du refus du curé de Rieulay de faire célébrer la premiÈre communion d'une enfant habitant le marais . Cette jeune fille aurait fait sa communion à De Sessevalle  .
Une nouvelle controverse naÎt quelques mois plus tard entre le curé de Somain et celui de Rieulay à propos d'un mariage . L'abbé Dhaussy prend une nouvelle fois la plume pour dire son indignation au vicaire général Catteau :"Le curé de Somain a refusé que le mariage d'une fille du marais se passe à Rieulay dans la mesure où l'autorisation ne lui est pas demandée par le curé du lieu . Comme la personne ne veut pas se marier à De Sessevalle , la cérémonie doit se faire et se fait à Marchiennes-Ville paroisse du conjoint . Une telle exigence ne parait-elle pas outrée de la part du curé de Somain ?". Les affaires se compliquent encore en juin 1912 : l'abbé GuéquiÈre répond de maniÈre déterminée :"De quel droit exercez-vous un ministÈre quelconque sur le Marais des Onze-Villes ? Mon prédécesseur a pu vous accorder certaines permissions ... Ne deviez-vous pas redemander ces permissions au successeur canoniquement installé à Somain ? ... M. le curé de De Sessevalle est prÈs du Marais des Onze-Villes , c'est à lui que je donne mes pouvoirs . Vous en êtes avisés". Le débat n'en devient que plus âpre . Aussi , l'administration diocésaine sermonne le vice-doyen de Somain qui met de l'eau dans son vin le 27 juillet 1912 :"Ce que je désire avant tout , c'est la paix ... Je veux bien les laisser choisir ... en ce qui concerne les mariages , ... mêmes restrictions que du temps de l'abbé Buzin ... Cette restriction s'applique à M. Vindevogel comme à vous ... Comme vous le voyez , vos fidÈles du Marais pourront continuer à réclamer tous les secours de votre ministÈre".
Mais les choses sont encore trop floues pour le curé de Rieulay qui regrette que le curé de De Sessevalle puisse visiter les marais aussi-bien que lui-même .
Cette controverse est le signe du ferment d'incompréhensions réciproques qui subsistent entre les trois entités religieuses .


Le hameau de De Sessevalle est doté d'un ensemble religieux grâce à la Compagnie des Mines d'Aniche . Le prêtre , salarié de la Compagnie , fait parti du schéma à la fois patriarcal et paternaliste qui permet à la Compagnie d'encadrer ses employés . Quant au curé de De Sessevalle , il contribue à rendre dans ce quartier éminemment déchristianisé un semblant de vie chrétienne .
 


 

Ci-contre, l'abbé Vindevogel